Faubourg Saint-Roch, Québec, 1896. Alice Picard ne s’est jamais remise de son second accouchement et vit alitée depuis cinq ans. Son mari, Thomas, propriétaire d’un grand magasin de la Basse-Ville, se résigne à choisir, parmi les pensionnaires des ursulines, une gouvernante pour ses deux enfants. Élisabeth Trudel se tire très bien d’affaire et séduit malgré elle son patron, qui dissimule au mieux sa passion. Le commerçant a d’autres soucis pour distraire le cours de ses pensées : sa participation à la campagne électorale de Wilfrid Laurier; l’expansion de son entreprise; son frère Alfred, chef de rayon bien nonchalant…
Malgré sa maladie, Alice multiplie bientôt les subterfuges pour éloigner Élisabeth, qu’elle soupçonne d’être la nouvelle flamme de son mari. À force de messes basses, elle convainc sa fille d’aller en pension chez les ursulines, et Thomas Picard ne voit pas comment il pourra justifier encore très longtemps la présence de la gouvernante sous son toit.
Extrait
Dix minutes plus tard, l’homme vit la jeune fille sortir de l’édifice à contrecœur, les yeux enflés, les joues un peu barbouillées de larmes. Au prix d’un effort surhumain, elle arrivait à réprimer ses sanglots devant cet inconnu. De la main droite, elle tenait un minuscule baluchon.
— Ce sont vos seuls bagages? questionna-t-il.
— Je n’ai rien d’autre.
Une pointe de honte marquait sa voix. Normalement, une jeune fille arrivait au couvent avec un jeu complet de vêtements. Celle-là n’entrait plus dans ceux qu’elle portait ce jour-là, et personne ne lui en avait offert d’autres.
— Allez, montez, fit l’homme en lui ouvrant la porte du fiacre et en tendant la main pour l’aider.