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Montréal, 1986. Après avoir connu une période creuse dans sa vie personnelle et professionnelle, Marie Jolie réussit à rebondir grâce à la nouvelle station privée Télé-Soleil, qui lui offre l’animation d’une quotidienne à heure de grande écoute. L’audacieuse en profite alors pour fonder sa boîte de production. Forte de son expérience, Marie pilote sa barque en s’adjoignant deux complices de longue date : son ex-amant et ami, le réalisateur Jean-Jacques Loriot, et sa grande copine Camille Durand.

Une rencontre fortuite avec un jeune guitariste auteur-compositeur à la voix exceptionnelle lui permettra également d’endosser le rôle d’agente d’artistes. Plus que jamais, Jolie désire atteindre les plus hauts sommets du star-système et, par ricochet, faire résonner ses succès jusqu’aux oreilles du vice-président de PolyGram Records, Nicolas Cameron, son inoubliable Nikki.

Ce dernier tome de la série décrit avec moult détails le fascinant milieu de la télévision québécoise.

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Extrait

Le docteur Rioux garda ses mains jointes un moment sur le dossier de Marie Jolicoeur. Son visage était à la fois sérieux et doux. Marie avait remarqué sa peau lumineuse et presque sans rides. Comme s’il était éclairé par un projecteur. Une aura de savoir, d’intelligence et de grande bonté émanait de lui. Cela atténuait l’extrême anxiété de la patiente. C’était le sentiment de confiance qu’elle éprouvait depuis le premier rendez-vous avec Milton Rioux. Il lui rappelait Paul Buisson, le grand patron et fondateur de Télé-Populaire. Un monolithe solide qui n’y allait pas par quatre chemins. Et Rioux avait pris le temps de jauger sa force de caractère pour aborder les résultats des tests.

— Oui, docteur, je suis capable d’encaisser. Suis-je atteinte du sida ?
— Non. Rassurez-vous.

La réponse négative effaça ses pires appréhensions. Il lui semblait que jamais elle n’avait cru sa mort aussi proche. Et jamais elle n’aurait supporté la honte de lire en front page qu’elle était atteinte de cette maladie mortelle à connotation sexuelle. Pour la vedette du petit écran, l’humiliation aurait entraîné la fin de sa prolifique carrière et le début d’un calvaire menant tout droit à la tombe. N’y tenant plus, Marie relâcha la pression et éclata en sanglots. Le médecin lui tendit la boîte de Kleenex qu’il gardait dans un des tiroirs de son bureau. Rioux était content de la réaction de sa patiente. L’évacuation du stress était salutaire. 

En près de quarante ans de pratique, le généraliste sexagénaire en avait vu de toutes les couleurs : un couple d’ignorants qui essayait de faire l’amour par le nombril ; un homme souffrant de gonorrhée incapable de prononcer le mot « pénis » et qui parlait de sa protubérance génitale en disant « le pouce pas d’ongle », ou encore l’adolescente de quatorze ans qui avait voulu avorter en avalant de l’eau de Javel. Et aujourd’hui, le praticien devait composer avec ce nouveau fléau sans pouvoir prescrire une médication adéquate. Le virus du VIH signifiait une condamnation à mort à plus ou moins long terme comme certains cancers fulgurants ou comme la sclérose latérale amyotrophique, une maladie neurodégénérative appelée Lou Gehrig’s disease. Heureusement, au fil des années, la recherche médicale et les nouvelles techniques opératoires avaient progressé de façon significative et permettaient de mieux soigner. Les chances de guérison étaient proportionnelles à la précocité du diagnostic et c’est sous cet angle que le médecin allait aborder les mauvaises nouvelles. 

— Excusez-moi, il fallait que ça sorte, hoqueta Marie en se mouchant.
— Je vous en prie. Voulez-vous un verre d’eau ? 
— Depuis ma désintox, j’ai l’impression d’être un château d’eau ! ironisa la patiente. 
— Je peux vous offrir la décoction que me prépare ma femme. Élisabeth est biologiste et phytothérapeute. Je l’appelle ma sorcière bien-aimée.